Notre époque est marquée par une fracture profonde entre l’être et l’avoir. Là où autrefois les sociétés valorisaient les dimensions spirituelles, culturelles et intellectuelles, le matérialisme s’est imposé progressivement, reléguant au second plan l’essence même de l’humanité. Ce phénomène, qu’il soit le fruit d’une stratégie délibérée ou d’un glissement naturel dû à la modernité, a engendré une société de plus en plus déconnectée de ses valeurs fondamentales.
Psychologiquement, la domination du matérialisme exerce une pression constante sur les individus. L’esprit humain, saturé de stimulations inutiles et de distractions omniprésentes, peine à trouver un équilibre. Les réseaux sociaux, en particulier, exacerbent cette fragilité en jouant sur deux leviers puissants : la validation extérieure et la comparaison.L’être humain, par nature, cherche à appartenir à un groupe, à se sentir reconnu et accepté. Mais dans cet univers numérique, cette quête devient malsaine. Les «likes», les « followers » et les « trends » nourrissent un besoin artificiel de reconnaissance, laissant derrière eux un vide émotionnel immense. À force de se conformer aux attentes superficielles, les individus perdent leur authenticité et, avec elle, leur santé mentale. Le résultat ? Une génération anxieuse, en quête de sens, mais prisonnière d’une spirale où la réflexion profonde et le retour sur soi sont étouffés par le bruit constant de la superficialité.
Sociologiquement, le rôle des institutions comme la famille, l’école et la société dans son ensemble est central dans cette crise. Ces piliers, autrefois garants de la transmission des valeurs, de la culture et de l’esprit critique, ont peu à peu cédé sous le poids des attentes matérielles et des pressions modernes. Les parents, épuisés et désabusés, peinent de plus en plus à jouer leur rôle de repères moraux et éducatifs. La course à la survie économique, la fatigue psychologique et l’omniprésence des écrans dans les foyers ont affaibli leur autorité. Trop souvent, ils baissent les bras, laissant les algorithmes et les tendances numériques éduquer leurs enfants.L’école, quant à elle, s’est transformée en une usine à résultats. Plutôt que de former des esprits critiques, elle s’aligne sur les attentes du marché, fabriquant des consommateurs dociles plutôt que des penseurs audacieux. La société valorise l’immédiateté et la gratification instantanée, reléguant les voix authentiques et profondes à la marge. La médiocrité devient alors une norme, car elle est plus facile à digérer et moins menaçante pour l’ordre établi.
Philosophiquement, cette époque pourrait être décrite comme une ère de l’oubli de l’être. Comme l’écrivait déjà Hannah Arendt, la modernité a réduit l’homme à un « animal laborans », une machine de production et de consommation. Ce matérialisme triomphant nous pousse à définir notre existence en termes de possessions et d’apparences, nous éloignant de ce qui constitue l’essence de l’être : la quête de sens, la contemplation et la transcendance.L’absence de spiritualité — qu’elle soit religieuse, philosophique ou introspective — est au cœur de ce mal. Coupé de son essence, l’homme devient un simple rouage d’une machine sociétale. Ce vide spirituel engendre des comportements destructeurs : une quête incessante de distractions, une incapacité à supporter le silence et un rejet de la complexité au profit de solutions simplistes.
Ce système est-il volontairement orchestré ? Sans doute en partie. Les gouvernements et les grandes entreprises tirent profit d’une population distraite, dépendante et préoccupée par des enjeux superficiels. En encourageant une société de consommation effrénée, ils assurent leur pouvoir économique et politique. Un individu pris dans cette mécanique a moins de temps et d’énergie pour contester, réfléchir ou proposer une alternative. Mais cette dérive est aussi une conséquence inévitable de la modernité. L’accélération des technologies, l’urbanisation massive et la surabondance d’informations ont éloigné l’homme de sa nature contemplative.Face à ce constat, il devient urgent de rétablir un équilibre. Cet équilibre ne viendra pas des institutions, trop souvent complices de ce système. Il doit émaner d’un effort individuel et collectif : une véritable révolution intérieure et extérieure pour redonner à l’être humain sa dignité, sa profondeur et son essence. Cela commence par une redécouverte de ce qui nous élève.
Dans un monde saturé de bruit, le retour à soi, par le silence et l’introspection, devient un acte révolutionnaire. C’est dans le silence que naissent les plus grandes vérités. Au-delà de la religion ou de la philosophie, il s’agit de retrouver une spiritualité qui nous connecte à quelque chose de plus grand que nous-mêmes. Un sens qui transcende le matérialisme et la superficialité. Refuser de céder aux attentes superficielles et choisir d’exister pleinement, même si cela implique d’aller à contre-courant, exige le courage d’être authentique.
Mais cet éveil ne peut rester individuel. Il doit devenir une force collective, un mouvement où chaque voix authentique compte. Nous ne sommes pas condamnés à être des corps sans âme, à vivre comme des automates dans un système qui nous broie. L’histoire a prouvé que les êtres humains, même dans les périodes les plus sombres, ont la capacité de se relever, de se réinventer et de redonner un sens à leur existence.Le véritable défi n’est pas d’accumuler, mais de transcender. La question fondamentale n’est pas « Que possède-t-on ? », mais « Qui est-on ? ». Tant que nous choisirons d’être plutôt que de paraître, il reste un espoir. Et cet espoir, aussi discret soit-il, pourrait bien être la lumière qui éclaire le chemin vers une humanité réconciliée avec elle-même.